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jeudi, 28 mars, 2024

Feu vert éthique pour la recherche sur le « soldat augmenté »

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Association des Officiers de la Région de Compiègne

Dans un avis rendu public, le 4 décembre, le comité d’éthique du ministère de la défense plaide pour l’ouverture de travaux sur les méthodes « invasives » d’amélioration des performances physiques des militaires.

Par Elise Vincent

Vision de ce que pourrait être le combattant du futur en 2040/2050, avec des vêtements connectés, plus de protections et une interface homme/machine permettant d’aider le combattant. Image issue de travaux d’étudiants de l’école de design Strate pour l’armée de terre. STRATE/ Léa Hamzi/ Maxime Blandin/ Emilien Jacquinet

C’est un avis sur un sujet très sensible qui doit être rendu public, vendredi 4 décembre, par la ministre des armées, Florence Parly. Un avis émanant du tout nouveau comité d’éthique de la défense, créé en janvier, et qui concerne ce que les spécialistes résument par le concept de « soldat augmenté ». Soit tout ce qui concerne l’amélioration des performances au combat, et recouvre des aspects aussi variés et débattus que le recours à des exosquelettes, à un certain nombre d’objets connectés ou à des robots tueurs.

L’avis du comité d’éthique, qui doit être dévoilé à l’occasion d’un forum annuel de l’innovation, n’est que consultatif, mais il devrait faire parler de lui bien au-delà des cercles de la défense. Il concerne en effet le segment le plus périlleux du « soldat augmenté » : le recours aux techniques dites « invasives » pour améliorer les performances physiques ou cognitives du corps humain. En clair, l’injection ou l’absorption de substances, les opérations chirurgicales ou encore l’intégration de puces sous la peau pouvant envoyer ou recevoir des informations à distance sur un théâtre de guerre.

Or, pour son premier avis public – un document d’une trentaine de pages que Le Monde a pu consulter –, le comité d’éthique de la défense, composé de dix-huit membres civils et militaires, a décidé de donner son feu vert à la recherche sur ces méthodes. Et ce, alors que, jusqu’à présent, aucun travail scientifique n’a été officiellement mené en la matière.

Une vingtaine de recommandations

Les seules méthodes « invasives » employées aujourd’hui au sein des armées françaises sont le recours à un certain nombre de produits facilitant la récupération après l’effort, diminuant le stress, ou des médicaments comme les antipaludéens, ainsi que la vaccination, souligne-t-on au cabinet de la ministre. Mais, à l’horizon 2030, selon le comité d’éthique, le « champ des possibles », pourrait largement s’ouvrir.

Ces évolutions pourraient notamment passer par des substances conçues pour améliorer « la résistance face au phénomène d’isolement ou à la suite de la capture par l’ennemi ». Elles pourraient aussi se traduire par des opérations des oreilles pour entendre des fréquences très élevées ou très basses, ou encore par des implants « permettant de prendre le contrôle d’un système d’armes ».

« Afin d’éviter tout risque de décrochage capacitaire de nos armées (…), la recherche dans le domaine des augmentations doit être ouverte », extrait de l’avis du comité d’éthique

« De longue date, l’être humain cherche régulièrement à accroître ses capacités physiques ou cognitives pour combattre ou faire la guerre (…). Les évolutions prévisibles ou envisageables à plus ou moins long terme permettent d’entrevoir des ruptures au moyen desquelles les augmentations de capacités se trouveraient incorporées au soldat », prévient ainsi en préambule le comité. « La question des limites et, par suite, celle des seuils, sont donc essentielles », ajoute-t-il, avant d’assumer sa principale position : « Afin d’éviter tout risque de décrochage capacitaire de nos armées (…), la recherche dans le domaine des augmentations doit être ouverte. »

Conscient des débats que pourrait susciter cet avis, le comité d’éthique prend soin d’énoncer, dans un deuxième temps, près d’une vingtaine de recommandations. Pour chaque « augmentation », une analyse « bénéfices/risques » devra ainsi être menée, en incluant les « risques cyber » : soit les éventuels effets secondaires que pourraient avoir sur le corps un certain nombre d’ondes ou de composants électroniques. La « réversibilité » de ces augmentations devra être étudiée. Surtout, le service de santé des armées devra être systématiquement associé.

Fixer une limite à ces innovations

Le comité d’éthique fixe aussi un certain nombre de lignes rouges. Parmi elles : « Toute augmentation dont on estime qu’elle serait de nature à (…)  provoquer une perte d’humanité ou serait contraire au principe de respect de la dignité de la personne humaine. » Il fixe aussi comme interdit toute « augmentation cognitive » qui « porterait atteinte au libre arbitre dont le militaire doit disposer dans l’action au feu ». De même devraient être proscrites « les pratiques eugéniques ou génétiques », ainsi que les « augmentations qui mettraient en péril l’intégration [du soldat] dans la société ou son retour à la vie civile ».

Le droit pourrait aussi représenter une limite à ces innovations, en particulier le droit international humanitaire. Il pourrait être ainsi considéré que le « processus d’augmentation » est un « moyen » ou une « méthode de guerre », s’il est conçu pour « donner la mort, des blessures, ou des dommages à des personnes ou des biens », prévient le comité d’éthique.

Même chose pour le droit médical. Si l’on avance dans cette direction, « il va falloir mettre ensemble médecins et juristes », note Gérard de Boisboissel, directeur de l’observatoire des enjeux des nouvelles technologies pour les forces au sein du Centre de recherche des écoles de Saint-Cyr Coëtquidan, qui forme tous les officiers de l’armée de terre en France. La loi Jardé (2012), notamment, encadre très strictement les recherches impliquant le corps humain. « Il y a donc encore beaucoup d’obstacles », estime M. de Boisboissel, qui a fait partie des personnalités consultées par le comité d’éthique et est par ailleurs le coauteur d’une étude montrant les avis très partagés des élèves de Saint-Cyr sur le sujet.

Très grands écarts de doctrine

Au cabinet de Florence Parly, on tient à rappeler que rien n’est tranché sur ce sujet et que ces évolutions ne sont pas à l’agenda des armées. « Il y a des choses sur lesquelles on ne transigera pas », insiste-t-on. En particulier la nécessité d’un « consentement éclairé » des militaires qui pourraient être amenés à expérimenter ces innovations et la « réversibilité » de ces dernières. « On privilégiera toujours le non invasif sur l’invasif », souligne-t-on aussi. « Mais on souhaite se poser les bonnes questions maintenant pour avoir un cadre intellectuel prêt. Tout le monde n’a pas nos scrupules et c’est un futur auquel on doit se préparer », ajoute-t-on.

« La réponse que fera l’armée française à ces opportunités fera un peu exemple et pourra constituer une référence pour d’autres pays », Gérard de Boisboissel, chercheur

Quoi qu’il advienne, selon M. de Boisboissel, qui travaille depuis des années sur toutes les facettes du « soldat augmenté », le fait que la France se penche sur les méthodes d’augmentation franchissant la « barrière corporelle », est une bonne chose. « La réponse que fera l’armée française à ces opportunités fera un peu exemple et pourra constituer une référence pour d’autres pays », estime ce spécialiste, qui rappelle les très grands écarts de doctrines existant notamment avec les Etats-Unis, la Russie ou la Chine sur le sujet.

Outre-Atlantique, la doctrine du « zéro mort » prévaut ainsi sur beaucoup de considérations. Et ce, dans le but de « déporter au maximum le danger du soldat », selon M. de Boisboissel. En Russie, dans un discours d’octobre 2017, le président Valdimir Poutine a, lui, ostensiblement annoncé l’avènement prochain d’un soldat « génétiquement modifié ». Tandis qu’en Chine, même si l’état des recherches reste opaque, « l’éthique du groupe et de l’efficacité prime toujours sur celle de l’homme », résume le chercheur.

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